Les déserts médicaux

Les déserts médicaux

L’expression « les déserts médicaux » revient comme un leitmotiv lorsqu’est évoquée la démographie médicale générale et sa répartition territoriale. Il serait probablement nécessaire d’effectuer une analyse moins sommaire que celle qui affirme qu’il suffirait d’augmenter le numerus clausus pour résoudre le problème. C’est méconnaitre que comme 80% de la population vit sur 20% du territoire, augmenter le nombre de médecins fera qu’ils s’installeront – en supposant qu’ils veuillent le faire – là où se trouve la plus forte densité de population. C’est méconnaitre que même dans les régions les mieux dotées, il existe des zones d’arrière pays en sous densité. De plus, le « désert médical » ne touche pas que les petites communes rurales, il s’étend aux faubourgs des grandes villes et touche même le cœur des villes. Il faut d’ailleurs distinguer les « déserts médicaux » correspondant aux zones peu peuplées ou à l’habitat dispersé et les « déserts médicaux » qui concernent zones très denses. Je rappelle régulièrement que le 18ième, le 19ième et le 20ième arrondissement de Paris ont une densité d’offre libérale de premier recours inférieure à celle de la Picardie et le cas de la Seine Saint Denis peu aussi servir d’illustration. Ils n’appellent sans doute pas aux mêmes solutions.
 

C’est également une fausse bonne idée de prétendre réguler les installations libérales, sans examiner préalablement avec les principaux intéressés, c'est-à-dire les jeunes médecins, de nouvelles formes d’exercice, en particulier pour les médecins généralistes de premier recours. Il faut ajouter à cela que pour pourvoir le nombre de postes vacants dans les hôpitaux, il est fait largement appel à des confrères n’ayant pas accompli leur cursus de formation en France. C’est faire ici mention qu’il existe également des sous dotations d’effectifs dans les établissements publics, qui assurent eux aussi des missions de premier recours dans leurs services d’accueil.
 

Avant de prétendre réguler les installations libérales, il convient donc  d’effectuer une analyse des causes du non  désir d’installation libérale de la plupart de nos jeunes confrères afin d’inverser cette situation. Les réflexions récentes du Conseil national sur la liberté d’installation ont donné lieu fâcheusement à une communication peu compréhensible, entrainant une confusion des genres, ainsi que la perplexité, le désarroi, voir la colère des jeunes générations. Sans faire mention des l’étonnement des conseils ordinaux départementaux et régionaux de ne pas avoir été  associés à une réflexion prenant apparemment à contre pied les mesures incitatives antérieurement prônées.
 

Il faut aujourd’hui poursuivre le débat, non pas sur le principe d’une régulation intelligente et mesurée, mais d’abord sur les moyens d’organiser différemment les exercices. Cette organisation, et les  moyens qui vont avec, constituent un préalable à toute régulation. Pour cela,  il faut avancer des propositions ouvertes, « claires, loyales et appropriées » en concertation avec les organisations des jeunes médecins et également bien évidemment avec les organisations représentatives - auxquelles l’Ordre ne peut prétendre se substituer - avec les collectivités territoriales, les ARS et les Ministères concernés. Les Ministères, car il s’agit à la fois de l’équipement du territoire, de l’organisation du système sanitaire et médico-social et de l’utilisation des technologies dans l’exercice de la médecine.

Madame la Ministre des Affaires sociales et de la Santé ne s’y est d’ailleurs pas trompée, en indiquant que toutes les mesures d’incitation n’avaient pas été épuisées. Les politiques publiques devront dire comment la puissance publique s’engagera concrètement à leur donner cohérence et moyens.
 

Dans le format de ce billet, toutes ces mesures ne peuvent être listées. Cela serait de surcroit bien prétentieux de notre part et parfois même non ordinal, car certaines d’entre elles relèvent clairement du domaine des organisations syndicales, du secteur libéral comme du secteur public, et des partenaires conventionnels pour ce qui s’attache au secteur libéral. D’autres relèvent du Parlement et du Gouvernement. D’autres encore des collectivités territoriales.

L’Ordre professionnel doit se proposer d’être un « facilitateur proactif », par sa connaissance démographique des réalités médicales des territoires et par ses missions déontologiques. Il ne doit pas s’éloigner de ces fondamentaux, d’autant qu’il n’est pas « l’Ordre des médecins libéraux » mais tout autant des médecins salariés et hospitaliers très concernés en réalité par ces sujets. La coopération entre le secteur ambulatoire et les secteurs de l’hospitalisation est un point essentiel dans la réflexion sur les « déserts médicaux » et l’accessibilité aux soins.

Parmi toutes les mesures envisageables l’une s’impose de toute évidence : les jeunes générations ne veulent pas exercer de façon isolée. Cela n’est pas spécifique aux médecins, ni même aux seules professions libérales. Les jeunes médecins veulent retrouver « en ville » le travail « d’équipe de soins » qu’ils ont connus dans leur cursus hospitalier de formation. Cela est vrai pour quasiment toutes les spécialités. Nous voyons bien, au cœur même des villes, que les jeunes spécialistes ne recherchent pas le confrère solitaire, « ayant une belle clientèle » et qui va partir en retraite sans succession, mais rejoignent les regroupements dynamiques qui sont d’ailleurs de plus en plus souvent adossés aux établissements. Il en est évidemment de même pour la médecine générale de premier recours, spécialement dans les zones qui se « désertifient ».

Dans les mêmes perspectives, l’organisation territoriale des soins doit désormais inclure le secteur  médico-social, ce qui nécessite des coopérations structurées inter professionnelles, avec des transferts de rôles entre le médecin et les autres professions de santé. Le médecin  traitant ne peut pas être le coordonnateur et le responsable de tout. Mais pour que cela soit opérant, il deviendra indispensable de mieux valoriser les missions du médecin de premier recours. Comment oser affirmer que celui ci serait responsable de tout et tout le temps, pour des honoraires de 23 euros par consultation ! D’autres modes de rémunérations doivent être associés à la rémunération libérale à l’acte, sans que cela altère la relation de confiance du patient et l’indépendance de la décision médicale. Le CNOM l’avait déjà exprimé en 2007.

Ces coopérations structurées s’établiront dans des regroupements pluri professionnels, que ce soit en Maison ou en Pôles, où les dossiers seront partagés comme ils le sont dans les établissements. Cela n’enlèvera rien à l’exercice libéral, cela transformera seulement l’exercice individualiste. Cela n’a rien d’attentatoire à la protection du secret médical à la condition que le patient consente aux partages de ses données personnelles, et que les accès aux bases informatiques contenant les dossiers soient identifiés, autorisés et tracés. Dans ce modèle des moyens télémédicaux prioritaires doivent être mis en œuvre dans ces structures de regroupement.
 

En bref : il faut créer un réseau territorial, entre médecins et autres professions de santé, avec l’ambulatoire et l’hospitalisation, ne laissant plus un praticien isolé avec des contraintes insupportables. C’est là que sont attendues les politiques publiques incitatives et fortement structurantes sur les territoires, sans que les médecins se voient contraints à remplir d’innombrables formulaires administratifs pour que cela se mette en place.

Il faut oser dire qu’il n’y aura pas un médecin tout seul sur la place de chaque village. Le laisser croire à la population ou laisser penser aux jeunes médecins qu’ils y seraient contraints aboutirait à de cruelles désillusions. Il faudrait donc que les politiques publiques puissent aussi permettre aux ARS par un mécanisme de contractualisation d’inciter financièrement les médecins proches de leur cessation d’activité dans ces « déserts » à se regrouper, formant ainsi le foyer confraternel où des plus jeunes auraient retrouvé l’envie de venir exercer.

Enfin, il nous semble aujourd’hui totalement inopérant de parler d’installation de jeunes médecins dans des déserts médicaux. Que feront les conjoints des médecins dans ces déserts médicaux alors qui ont également leurs métiers ? Il faut travailler sur l’organisation des exercices sur les  territoires car l’exercice professionnel n’impose pas l’installation fixée, ni l’obligation de résidence.

Docteur Jacques LUCAS                                                                                                           Docteur François WILMET