Interrogations éthiques et déontologiques sur la fin de vie

Interrogations éthiques et déontologiques sur la fin de vie.
 

« L’accompagnement des personnes en fin de vie est une réalité qui concerne tous nos concitoyens, et qui, à l’occasion de certains cas particulièrement difficiles et douloureux, interroge toute la société.
La loi du 22 avril 2005 [dite loi Leonetti] relative aux droits des malades constitue une avancée certaine en condamnant l’acharnement thérapeutique, en instituant l’arrêt du traitement dans le cadre d’une procédure collégiale pluridisciplinaire, en renforçant les soins palliatifs et en mettant en place les conditions pour que le patient, ou à défaut la personne de confiance, puisse faire valoir son souhait.»

Ainsi commence la lettre de mission adressée le 17 juillet 2012  par le Président de la République au professeur Didier Sicard, président d’honneur du Comité national  consultatif d’éthique.
 

« Une évaluation de l’application de ce texte [loi du 22 avril 2005] dans le cadre d’une réflexion sur la fin de vie me parait indispensable. En effet, de plus en plus de personnes sont accompagnées pendant de longues périodes dans des conditions complexes. […] C’est pourquoi, j’ai décidé de vous confier une mission sur ce douloureux sujet. Vous conduirez vos travaux en prêtant une attention particulière pour que s’expriment tous les points de vue, dans un souci d’écoute et de respect mutuel » poursuit le cadrage de la mission.

Depuis  l’envoi de cette lettre de mission, le Comité national consultatif d’éthique a indiqué que, conformément aux attributions qui sont les siennes, il ouvrirait sur le sujet des Etats généraux, lorsque Didier Sicard aura terminé sa mission, et avant que le Parlement ne soit éventuellement saisi d’un projet de loi.
 

Le débat public est ainsi placé au niveau où il doit être. Celui de la société. Celui de l’éthique qui s’attache au sens de la vie et de sa fin.

Le débat n’est donc pas, dans son sens humain  profond, un débat médical. Mais il le deviendra secondairement puisque les médecins, comme d’autres professionnels de santé d’ailleurs, seront confrontés aux aspects déontologiques qui s’ensuivront. « C’est là que le juriste se heurte à la limite de sa compétence. Le droit ne dit pas si l’euthanasie est bonne ou non, s’il est scandaleux que le droit français la refuse ou pas. Le droit dit : à ce jour elle est interdite, si vous voulez l’autoriser changer la loi. Voila qui explique le douloureux débat. Ce débat est moral, au sens philosophique du terme qui est la recherche de ce qui est bon. Des valeurs contradictoires se heurtent, religieuses, philosophiques, humaines, car c’est notre propre rapport à la mort qui est en cause et, en outre,  la souffrance personnelle de chacun est mise sur la table[…],écrit sur un blog très lu un célèbre et anonyme avocat.

L’Ordre national des médecins n’a pas, en tant qu’institution, à publier un avis sous une autre forme que celle des interrogations qui le traverse, comme elles traversent le corps social et le corps professionnel lui-même. Au demeurant, un avis de l’Ordre sur un tel sujet ne saurait s’imposer à la conscience de chacun médecin. C’est la loi qui s’imposera, sous l’expresse réserve qu’un médecin pourra toujours exprimer  une clause de conscience, soit qu’elle s’attache à ses intimes convictions soit au sens qu’il donne à notre métier. En revanche, dans le cheminement d’un débat institutionnel ouvert au respect des opinions contradictoires, peut être nous revient-il de proposer des axes de réflexion : soulager, apaiser, sauvegarder la dignité, respecter la volonté des personnes, ne rien imposer, entendre aussi les souffrances des proches, faire respecter la propre liberté de conscience du médecin…
 

La section Ethique et déontologie du CNOM a abordé ce sujet, lors d’une première réunion qui a été d’une exceptionnelle qualité par l’écoute réciproque et le respect d’opinions contradictoires.  Lorsque l’Ordre sera inévitablement interrogé dans le débat public, l’institution se devrait de ne pas rapporter des certitudes mais devrait porter des interrogations éthiques, et qu’elle puisse, dans le même temps, accompagner les confrères dans leurs interrogations professionnelles et déontologiques. Tous les confrères. Plus particulièrement ceux d’entre eux pour lesquels l’interrogation n’est pas seulement philosophique mais se pose avec  une acuité douloureuse dans le quotidien de leurs exercices. Ce débat sociétal ne doit donc pas se confiner dans un Cénacle. Il traversera le corps professionnel dans son entier. Il doit se nourrir des contributions extérieures, celles des autres conseils ordinaux, celles des Espaces éthiques régionaux, celles des Comités d’éthiques des établissements ou des sociétés médicales … Comme celle publiée récemment par le Comité d’éthique de la Société française d’anesthésie et de réanimation qui espère « nourrir un débat auquel chaque corps intermédiaire et les citoyens devraient apporter le fruit de leur réflexion et de leur expérience, au delà des émotions et des histoires individuelles ».

C’est dans cet esprit que nous nous risquons à avancer quelques interrogations plus précises, qui ne sont ici aucunement limitatives :
 

-    Les droits de la personne doivent-il s’étendre par l’inclusion d’un « droit à mourir » et d’une « assistance à mourir » dans le droit positif ?
-    Si la réponse législative était positive, comment s’exercerait juridiquement ce droit ?
-    Comment assurer alors que la collégialité d’une telle décision soit fondée exclusivement  sur la demande réitérée de la personne et d’elle seule, dans sa seule liberté et sans autre influence ?
-    Dans cette situation, comment s’exercerait alors pleinement et déontologiquement, la clause de conscience du ou des médecins confrontés à une telle demande ?
-    En toutes hypothèses, comment garantir que les Directives anticipées continuent d’être, au moment où il en serait fait état, celles de la personne dans la situation où elle se trouve et non pas dans celle où elle était lorsque qu’elle a rédigé lucidement  ses Directives anticipées?
-    Quel serait le rôle de la personne de confiance ? Les Directives anticipées auraient-elles une valeur contraignante ?
-    Peut-on envisager une « transgression légitimée » ou « l’exception d’euthanasie » selon l’expression d’un avis public du Comité national consultatif d’éthique ?  Par qui  la transgression serait-elle légitimée ?
-    Doit-on prendre en compte les législations dans d’autres Etats membres de l’Union européenne ?                            (septembre 2012)
 

               Docteur Jacques LUCAS                                                                                Docteur François WILMET